Grandir avec des parents en souffrance psychique : retranscription de l’émission « Tendances 1ère » du 31/07 /2017

Grandir avec des parents en souffrance psychique : retranscription de l’émission « Tendances 1ère » du 31/07 /2017
Little girl holding young green plant in sunlight. Ecology concept.

Grandir avec des parents en souffrance psychique

Émission  Tendances 1ère, du  31/07 /2017, animée par Cédric Wautier

Auteures: Cathy Caulier, Frédérique van Leuven

 

L’émission de la RTBF radio « Tendance 1ère » du 31 juillet 2017 a abordé, avec les deux auteures, un thème méconnu par les professionnels eux-mêmes, celui du vécu des enfants qui vivent avec un parent en souffrance psychique.

Cette émission fut un reflet exact du livre: délicatesse, authenticité, lucidité,  ressources et pistes à exploiter. De magnifiques témoignages y ont été étendus.

Nous vous partageons la retranscription intégrale effectuée par A-F Bouillet.

Cathy Caulier est psychologue, psychothérapeute systémique au service de Santé Mentale de Saint-Gilles (Bruxelles, Belgique)  et de Louvain-La-Neuve, formatrice à l’approche systémique.

Frédérique van Leuven est psychiatre au centre Psychiatrique Saint-Bernard à Manage et dans l’équipe mobile de crise de la région du centre (Belgique), doctorante à l’université de Mons, membre du centre de recherche en inclusion sociale.

C.W : Dans le dossier du jour on va s’intéresser à un phénomène qu’on connait peu : les enfants qui vivent avec un ou des parents en souffrance psychique.  25 % de la population peut à un moment être touché dans sa vie par des problèmes psychiques. Quid des enfants ? Comment sont-ils pris en charge ? Comment vivent-ils ?    « … »     1/4 de la population à un moment donné pourrait être touché par un trouble psychique, revenons sur cette notion de trouble psychique, ça englobe quoi ? Ça veut dire quoi un parent en souffrance psychique Cathy ?

C.C : C’est un terme que nous avons choisi pour ce livre et qui effectivement englobe toute une série de situations  très diverses. On pourrait évoquer les dépressions ponctuelles, les burn-out, les situations chroniques aux conséquences parfois plus difficiles et qui amènent à des hospitalisations. Donc, c’est vrai que « souffrance psychique » est un terme assez large mais qui nous semblait assez intéressant parce que peut être moins désignant que d’autres termes que l’on peut utiliser en diagnostic, en tout cas,  que le terme folie ou de ce type-là.

C.W : Folie, aujourd’hui quand on utilise le terme folie, on a l’impression que ça reste un grand tabou dans notre société, Frédéric van Leuven?

F.VL :  Oui, c’est encore un des derniers grands tabous de la société, je pense qu’on parle aux enfants de beaucoup de choses. On parle de la mort, on parle du sexe, on parle de maltraitance, des violences, mais on parle encore très rarement des maladies mentales.

C.W : Pourquoi, est-ce que c’est encore si compliqué aujourd’hui de parler des maladies mentales dans notre société ?

F. VL :  D’abord, elles font l’objet d’une stigmatisation extrêmement importante.  J’étais très surprise à Manage, en travail de groupe avec les patients, entendre les patients me dire : moi je préfèrerais avoir un cancer qu’une maladie mentale, parce qu’un cancer les gens comprendraient ce que j’ai, ils auraient plus d’empathie, ils me trouveraient courageux de lutter contre. Alors que la maladie mentale, elle ne se voit pas. On sait quand elle commence, mais on ne sait jamais quand elle finit. C’est beaucoup plus difficile de comprendre ce qui peut soigner et ce qui peut anticiper un mieux.  Je pense que c’est beaucoup de choses. La maladie mentale, elle fait peur. Elle fait peur parce que justement ça peut peut-être vous tomber dessus. Ça peut tomber sur n’importe qui finalement et ça qui surtout qui fait peur.

C.W : Cathy Caulier, quand on dit que la maladie mentale elle fait peur, elle fait peur aux enfants, elle fait peur aux parents. On n’est pas toujours conscient que son conjoint, que sa conjointe ou que soi-même on souffre à un moment d’une maladie mentale.

C.C : Elle fait peur encore beaucoup plus aux adultes qu’aux enfants. J’ai été impressionnée dans les rencontres avec les enfants, les familles, de l’aisance avec laquelle les enfants, si on écoute les enfants, si on écoute leur langage, leur langage qui est un langage très spécifique qui est un langage métaphorique corporel, ont beaucoup plus de facilité à nous en parler. Et d’ailleurs je cite souvent un enfant « mais c’est tabou par ce qu’on dit que c’est tabou. » J’avais trouvé cette phrase assez juste et assez extraordinaire de la part d’un enfant très jeune.

C.W : Les enfants vous les avez accueillis. On va retrouver toute une série de témoignages dans ce livre, « Grandir avec des parents en souffrance psychique ». C’est aussi un recueil de témoignage. C’était aussi important de donner la parole aux enfants pour parler de cette thématique : grandir avec des parents en souffrance psychique ?

F.VL : Oui comme le disait Cathy, c’est vraiment surprenant quand on donne la parole aux enfants, la simplicité avec laquelle ils abordent cette question. Les enfants ne sont pas vraiment en demande d’un diagnostic psychiatrique, mais ils sont en demande qu’on entende ce dont ils ont conscience, ce qu’ils voient, ce dont ils sont témoins.  Il faut quand même savoir que les enfants sont les témoins les plus proches de la vie familiale et donc de la souffrance et, parfois, les seuls témoins de ce qui se passe derrière les murs et dans l’intimité la plus complète. Je pense que les enfants se portent mieux si, en effet, ils arrivent à comprendre un petit peu ce qui se passe avec leur parent. Malheureusement, très souvent, on ne leur donne pas cette place-là, on ne les écoute pas, on n’entend pas leurs positions, on entend pas leurs questions. Alors que justement quand on les entend, ils sont extrêmement très précis dans ce qu’ils ressentent, dans ce qu’ils voient, dans ce qu’ils entendent, dans leurs intuitions. Ils sont parfois aussi porteurs de solutions, de voies auxquelles on n’avait pas pensé. Non seulement,  ils méritent beaucoup de reconnaissance et en plus, ce sont des auxiliaires précieux dans les soins.

C.W : Cathy Caulier, on parle de soins, est-ce qu’aujourd’hui, de manière générale en Belgique, les enfants sont bien accueillis  dans les structures psychiatriques de soins pour les parents ?

C.C : Je pense qu’ils le sont de plus en plus.  Il y a une sensibilisation grandissante à cette question, mais force est de constater que les moyens dont ne disposent pas les hôpitaux ne permettent pas d’accueillir les enfants. Beaucoup d’enfants sont accueillis comme on peut. C’est la débrouille. C’est souvent, moi qui ai travaillé quelques années dans les hôpitaux psychiatriques, dans les couloirs, les réfectoires, dans le jardin, quand il y en a un.   Mais de plus en plus, ça je trouve vraiment intéressant, j’ai eu l’occasion d’accompagner une équipe, je pense que c’est la première à avoir créé à Leuze, un  lieu  d’accueil où un des parents est hospitalisé,  un lieu qui est vraiment  favorable  à l’accueil  des familles et des enfants. C’est-à-dire un lieu adapté avec des jeux, un espace beaucoup plus agréable et où les questions liées à la maladie peuvent effectivement être abordées dans un autre contexte. Je crois qu’il y a vraiment une évolution qu’il faut  soutenir au niveau des politiques,  il y a quelque chose à entendre, à soutenir ce projet.  Ce sont des projets très très importants au niveau du bien-être des familles et de la prévention.

C.W : Pour ceux et celles qui ne sont jamais allés dans une aile psychiatrique, c’est vrai que c’est assez troublant, même quand on est adulte, on est entouré comme ça par des gens on va dire assez étrange, aux comportements assez étranges. Ça doit être encore plus difficile pour un enfant d’être confronté pour la première fois ou même régulièrement à ces gens, à ces malades psychiques ?

F.VL : Oui, les enfants témoignent. Parfois,  c’est traumatisant pour eux d’avoir été rendre visite dans un service psychiatrique à un père, à une mère, parce que le premier choc, ce qu’ils disent  «Mon père,  ma mère n’est pas comme eux, n’est pas comme les autres ».  Les enfants ont déjà vécu des choses secrètes, non dites bien avant l’hospitalisation d’un parent, puisque l’hospitalisation survient déjà au bout de toute une trajectoire. Il en faut beaucoup avant d’être hospitalisé en psychiatrie et donc, l’enfant qui a déjà vécu ça, se trouve soudainement confronté à cette réalité-là, d’où l’importance, comme dit Cathy, de créer des lieux qui sont vraiment des lieux d’accueil dans des services.

C.W : Quand on parle de réalité, c’est vrai qu’il y a tous ces témoignages dans ce livre. On va revenir sur ces témoignages.  Il y a des difficultés pour les enfants d’être confrontés à un parent en souffrance psychique, de comprendre cela aussi. Souvent ces enfants sont seuls et se murent dans le silence. Difficultés aussi pour les parents d’annoncer à un enfant que le conjoint ou la conjointe vit une situation compliquée.

Témoignage : « j’ai vécu entre un père alcoolique et une mère suicidaire, ils ont fait de moi une personne hyper sensible, trop empathique, mais pas fragile. » Sylva

C.W.:  Est-ce que c’est le genre de témoignage que vous entendez régulièrement quand vous rencontrez les enfants ? Ce sont des enfants hypersensibles ou pas spécialement ?

C.C.: J’aime bien ce témoignage parce que hyper sensible, on peut le voir parfois comme une fragilité, mais on voit bien dans ce témoignage qu’on peut le voir comme une ressource. C’est-à-dire que ce sont des enfants qui ont développé des capteurs assez inouïs, qui ont une grande capacité d’attention aux autres, qui ont souvent appris à ne pas juger aussi. Je trouve que c’est un très beau témoignage.

C.W.: Je l’ai dit, dans ce livre vous avez recueilli pas mal de témoignages d’enfants qui sont venus vous parler, que vous avez été trouvés aussi. Vous avez réussi justement à avoir ce climat d’écoute avec les enfants. Une des premières choses qui marque quand on lit votre livre, c’est la solitude aussi de pas mal d’enfants qui se sentent seuls et qui se murent dans une sorte de silence, F. van Leuven ?

F. VL.:  Mais est-ce qu’ils sont vraiment murés ? Oui évidemment, il y a le tabou, il y a tous les phénomènes de honte, de culpabilité qui isolent bien sûr. Mais ça,  c’est vraiment une question  de société, c’est la question justement du regard que la société porte  sur cette situation qui  font que les enfants ne se sentent pas autorisés à en parler.  Notre expérience, c’est que quand on leur donne la  parole ils s’en saisissent très très vite.

C.W.: Comment est- ce qu’on donne la parole aux enfants pour aborder cette thématique ? Comment vous abordez très concrètement, au jour le jour, pour recueillir ces différents témoignages, Cathy ?

C.C.: Cela dépend évidemment du contexte dans lequel on rencontre ces enfants, selon qu’on soit dans un espace de consultation ou dans d’autres lieux, par exemple dans des préventions ou des ateliers créatifs. Je dirais, d’une manière générale, l’attention que l’on peut avoir, c’est comment l’enfant s’adresse à nous, c’est-à-dire d’entrer dans son langage qui, comme je le disais tout à l’heure, qui est avant tout, un langage de jeux, un langage métaphorique. Je pense que parfois on passe à côté en tant qu’adulte, par ce qu’on est habitué à un langage qui est beaucoup plus verbal et qu’on a pas toujours cette possibilité et qu’on a cette peur, à certains moments, ou que l’on croit ne pas avoir les compétences pour développer ou retrouver aussi notre langage d’enfant, notre langage de création.

C.W.: Vous travaillez entre autres par le dessin, par l’art avec des choses qui sont assez surprenantes dans les dessins d’enfants, cela veut dire beaucoup de choses un dessin d’enfant ?

C.C.: Pour moi, un dessin, c’est  avant tout un objet d’échanges. Il y a beaucoup de choses qui ont été écrites sur les dessins et sur l’interprétation des dessins. Pour moi personnellement, je ne travaille pas avec l’interprétation des dessins, mais  avec les collages, que j’utilise beaucoup, les sculptures, les objets en bois, sont plutôt pour moi des objets que l’on met à disposition des familles et des enfants pour qu’un espace d’échanges puisse se créer.

C.W.: Frédérique van Leuven, qu’est-ce qu’ils vous disent les enfants quand ils parlent de la souffrance d’un père, d’une mère ou d’un grand parent ?   Qu’est ce qui ressort la plupart du temps ?

F. VL.: Tout sauf des généralités bien évidemment. J’entendais ce que disais Cathy  et je me disais:  comment ça se passe à Manage quand nous recevons une famille avec une infirmière en co-consultation? La première question  qu’on pourrait avoir : est-ce que tu sais ce que ton père, ta mère fait ici ?

C.W.: Est-ce qu’ils le savent la plupart du temps ou est ce qu’il y a les difficultés pour les parents à mettre des mots sur la maladie d’un conjoint ?

F. VL.:  Justement, c’est en ça que les enfants sont assez géniaux. Evidemment ils savent, ils savent ce que leur parent vient faire ici mais ils le disent avec leurs mots. Par ces mots-là, ils disent un petit peu ce qu’ils vivent et les parents sont très étonnés d’entendre ce que leurs enfants ont perçu et sont très touchés. Il y a des moments intenses quand les parents, justement, se rendent compte de toute la  perception des enfants et évidemment aussi toute une culpabilité, une honte de faire porter cela aux enfants. Mais dès lors que c’est partagé en famille, il y a quelque chose de l’ordre de la solidarité, du partage qui se fait et qui allège les choses pour tout le monde.

C.W.: Cathy Caulier, comment en tant que père ou que mère, on doit aborder cette question ? Comment parler ? Comment évoquer le trouble psychique d’un conjoint(e) à ses enfants ?

C.C.: Je pense que chaque situation, comme le disait Frédérique, est unique. Je pense,  par des questions toutes  simples, de dire : Tiens, est-ce que tu t’es rendu compte  dernièrement que quelque chose  avait pu changer  à la maison?  Je pense aussi que ce qui est important, c’est que l’enfant, comme je le disais, tout à l’heure,  se sente autorisé à dire, mais ne se sente pas obligé à parler. On risque de tomber dans deux extrêmes, il y a le dictat du silence et puis il y a le dictat du dire.  Je pense que par ces petites questions : Comment tu as vu que les choses avaient changé ? Qu’est ce qui a pratiquement changé ?  L’enfant a besoin aussi de parler de ses habitudes, enfin des choses très concrètes. Et en ça, je pense que c’est par le langage, par les observations des choses très concrètes dans le quotidien, de ce que lui a vu de ce qui avait changé pour chacun dans le quotidien.

C.W.: Cathy Caulier, je le rappelle vous êtes psychologue et thérapeute au service de santé mentale de Saint Gilles et à Louvain-la-Neuve et Frédérique van Leuven, vous êtes psychiatre au centre psychiatrique de Manage et dans une équipe mobile de crise de la région du centre et vous êtes toutes les deux auteures du livre.

On a un témoignage: « je travaille à l’hôpital psychiatrique du Beauvallon à Namur. Il y a quinze ans, on a créé un lieu de rencontre pour les parents et les enfants : « le fami-lien », un espace pour travailler le lien et le délien afin d’appréhender le fait qu’on soit séparé de son enfant. Il fallait se demander comment recréer du lien sans pour autant que l’enfant ne souffre de la maladie de son parent. Je pense qu’aujourd’hui dans beaucoup d’hôpitaux, on essaie aujourd’hui d’être plus proche de ça. Nous organisons aussi des évènements, des fêtes pour les parents. Nous travaillons pour déstigmatiser la maladie des parents ».

Etre séparé de son enfant, cela doit être quelque chose d’extrêmement difficile, pour les patients, pour ceux et celles qui sont touchés par un problème, même si il est de courte durée, un problème psychique ?

F.VL.: C’est clair qu’une hospitalisation psychiatrique, ça dure plus longtemps qu’une appendicite. Mine de rien, en général, c’est quand même un mois, trois,  quatre semaines et dans la vie d’un enfant c’est très long. Dans un certain nombre d’hôpitaux, justement, on n’a pas pu installer des dispositifs comme ceux dont parle le témoin.  Parfois,  les enfants n’étaient pas amenés à l’hôpital de peur justement de les traumatiser, de peur de les mettre en contact avec tout ça.  Il y a des séparations très très longues, séparations pendant lesquelles l’enfant peut se poser des milliers de questions et période dans laquelle le parent peut aussi culpabiliser de ne pas occuper sa place. Dans les témoignages des parents hospitalisés, on voit à quel point, très vite, ils ont le sentiment de perdre une place en n’assumant plus le quotidien. Il y a une maman qui disait « je suis rentrée chez moi après une semaine et j’avais l’impression d’être une invitée chez moi, mon mari et ma fille avaient déplacé tous les meubles. » Très vite les parents ont le sentiment de perdre une place.

C.W.: Dans les témoignages dans votre livre, il y a des témoignages où les enfants disent ‘j’ai dû prendre une place’. C’est difficile aussi de prendre la place d’un papa ou d’une maman ? On va revenir justement sur cette notion de prendre la place d’un parent, même dans un laps de temps court. On va revenir aussi sur ce que peut faire l’entourage, parce que là aussi on parle ici des amis, des familles qui sont confrontés aussi à cette réalité. Comment réagir, comment parler de cela avec un enfant qui viendrait peut être nous voir en tant que proche ?  ( pause musicale)

Témoignage: « belle mère de deux enfants de 16 et 20 ans, j’ai eu beaucoup de harcèlement vis-à-vis du papa » Est ce que c’est quelque chose que vous entendez souvent ? Est-ce que la place du conjoint ou de la conjointe est difficile à tenir aussi quand l’être aimé est en souffrance psychique ?

F.VL.: Je pense que Les beaux parents sont  des personnes qui sont parfois extrêmement  importantes dans le parcours de l’enfant. Ça peut être les personnes qui apportent un soutien, une continuité, un soin, une attention, des paroles. Et quand les enfants, devenus adultes,  témoignent de ce qui les a aidés justement à grandir,  à vivre  et à survivre à travers tout ça, c’est très souvent la figure des personnes auxquelles on n’aurait pas pensé à priori, notamment des personnes comme les beaux-parents, parfois une famille d’accueil, parfois des personnes dans des lieux élargis,  dans le monde associatif,  dans le milieu scolaire. Toutes ces personnes auxquelles on ne pense pas,  sont parfois, les plus importantes pour les enfants parce qu’elles vont assurer une continuité. Alors la question du conflit de loyauté, elle est évidemment délicate, parce que les enfants à priori, ils aiment tout le monde, ils ont parfois plus tendance à se tourner vers la personne qu’ils estiment le plus en difficulté.  Et c’est difficile pour la personne qui porte, qui soutient, qui aide à grandir de se rendre compte que cet amour continue à se tourner vers la personne qui est en difficulté, qui souffre, qui pose problème.  Toute la question, c’est comment faire percevoir aux enfants, comment leur donner l’autorisation et ça n’est pas qu’il faut choisir entre telle personne ou telle autre personne, c’est qu’on peut aimer telle personne et telle personne. Voilà, l’amour est inclusif, c’est quelque chose qui ne va pas toujours de soi. On sait qu’on peut aimer et l’un et l’autre, qu’il y a de la place pour tout le monde. Il y a un thérapeute familiale que j’aime beaucoup qui est ‘Nagi’ et qui a beaucoup travaillé sur la question du don, du contre don, qui a beaucoup travaillé sur la question que l’être humain est fondamentalement depuis sa naissance pris dans cette notion d’échanges,  donner, recevoir, rendre. Justement c’est l’idée que certaines personnes ont pu donner. La vie, c’est un bien immense unique, inaliénable et que d’autres personnes élèvent, vivent le quotidien et que l’enfant peut aimer chacun.

C.W.: Autre témoignage: « Ma mère n’a jamais été prise en charge malgré mes appels auprès de mon père à l’âge de 13 ans. J’en ai aujourd’hui 62 ans et j’ai l’impression de ne vivre qu’en fonction de l’autre et de ne pas avoir d’existence propre. »

C.C.:  Cette souffrance, elle peut vraiment être importante, de ne pas être entendu, reconnu. Le premier acte que l’on puisse poser par rapport à un enfant et même par rapport à une personne. Mais ici, on parle des enfants. C’est la reconnaissance par rapport à sa situation. Et par rapport à ça et en lien avec le témoignage précédent, une ressource qu’on mésestime parfois, c’est celle de La fratrie, soit la fratrie biologique, les frères et sœurs directes, soit les frères et sœurs des familles recomposées ou les fratries de cœur, c’est-à-dire les amis.   C’est une ressource là où on est parfois pas entendu par les adultes, où on arrive pas à nommer la souffrance qu’on observe parce que surtout il n’y a pas quelqu’un autour de soi qui peut l’entendre. La ressource des pairs est vraiment une ressource très très précieuse.

C.W.: Le manque d’attention à propos des adultes, on en a parlé en début d’émission. Quand on souffre d’un cancer, le proche aura plutôt tendance à  entourer la personne qui souffre d’un cancer à vouloir aider sa famille ou ses amis. Quand on souffre de maladie mentale, c’est plus compliqué. Est-ce que pour les amis c’est aussi important d’avoir des mots, des mots clairs pour qu’on puisse prendre conscience de la réalité de cette souffrance psychique, Frédérique van Leuven ?

F. VL.: Justement, aider l’enfant à mettre des mots, parce que l’enfant perçoit, mais très souvent on ne  lui donne pas l’occasion de chercher, de trouver les mots pour décrire ce qu’il vit, c’est vraiment essentiel.

C.W. : Et pour les proches ? Ce n’est pas facile non plus de se dire qu’un ami ou une amie souffre de souffrance psychique, d’en prendre conscience. Il y a souvent ce phénomène de rejet: « oui, ça va passer ta dépression ». Cathy?

C.C.: A  la fois le malaise et l’encombrement de la part des amis de faire face à cette situation qui peut amener une ambiance dans les  soirées un peu compliquée quand un ami ne va pas bien. Mais je pense qu’il y a aussi souvent la peur de l’intrusion, la peur de déranger, la peur de venir se mêler de ce qui ne nous regarde pas.  C’est aussi quelque chose qui est assez propre à notre société, cette crainte de déranger, cette crainte d’y aller. Il y a un auteur que nous aimons beaucoup qui a écrit énormément de choses, qui parle de cette nécessité de s’engager, de s’engager en tant qu’être humain, s’engager auprès des autres.  Cette peur de déranger et de l’intrusion est quelque chose qui est très très prenante et très envahissante.

C.W.: Et comment on fait si on veut s’engager en tant qu’amis ?

C.C.: C’est l’idée de demander à l’autre: Qu’est- ce que je peux faire pour toi ? de se manifester, de ne pas vouloir être dans le faire pour l’autre, mais voilà. Peut- être que je me trompe, peut être que je m’occupe de quelque chose qui ne me regarde pas mais je suis attaché à toi, je suis inquiet pour toi , et je me demande si je peux faire quelque chose ? Ce sont des petites paroles, des petits mots mais plein d’humanité qui sont fondamentaux.

Témoignage « Aujourd’hui, j’ai 50 ans. Quand j’étais plus jeune, ma maman a fait plusieurs tentatives de suicide. Je me rendais compte que je devais cacher tout à tout le monde. A l’école, j’imitais même la signature de ma maman pour cacher sa maladie mentale et ce, de peur d’être enlevée loin de mes parents. A l’époque, il n’y avait aucun service, aucune prise en charge prévue pour les enfants. Un jour, je me suis fait engueuler par un urgentiste par ce que je ne savais pas quelle quantité ma maman avait ingurgité. J’avais16 ans, j’étais considérée comme une adulte. Aujourd’hui,  je suis assistante sociale, je pense que cette expérience m’a amené à être plus sensible au ressenti des parents ».

C.W.: Cacher, cacher les choses à tout le monde, c’est aussi quelque chose qui revient régulièrement, tout comme le sentiment de honte que l’on rencontre chez certains enfants. « Je n’ai pas fait ce qu’il fallait pour ma maman, mon papa ou mon grand-père pour qu’il vive convenablement ». Frédérique?

F.VL.: J’aime beaucoup ce témoignage. Cathy et moi on s’est rendu compte que plus on avançait dans cet ouvrage,  plus on recevait  des confidences de collègues. Finalement, la situation d’avoir été un enfant aidant se trouve quand même chez énormément de personnes soignantes, que ce soit éducateurs, infirmières, médecins, psychologues, assistants sociaux. Il y a quand même quelque chose de l’ordre de cette capacité d’aide qui est développée et qui devient un choix d’une vie finalement après l’avoir subie, on peut en décider d’en faire son métier.

C.W.: La peur d’être enlevée loin de ses parents, c’est quelque chose que l’on retrouve aussi dans le témoignage de Christine. C’est quelque chose que l’on entend souvent chez les enfants ?

C.C.: Oui, c’est très puissant  et certains auteurs en ont beaucoup parlé. Je pense à Delphine De Vigand  qui a écrit ce livre qui a eu beaucoup de succès « Rien ne s’oppose à la nuit ».  Mais d’autres aussi « La femme de l’Allemand » qui est aussi un  très chouette bouquin  qui témoigne vraiment  de cette peur de l’enfant de nommer, de dire ce  qui apparait vraiment à la maison et avec la conséquence la plus terrible pour l’enfant et pour le parent. Bien souvent c’est la séparation.  Je ne dis pas que la séparation est terrible, on doit rester nuancé. Dans certains cas, la séparation est quelque chose qui peut être utile si elle est bien préparée, si elle est bien travaillée et si le lien est maintenu malgré la séparation. Mais c’est vrai que l’angoisse la plus totale de tout un chacun, c’est d’être séparé de son enfant, de son parent.

Témoignage « J’ai 64 ans, je suis l’enfant d’une maman qui malheureusement a toujours été une malade mentale. Elle n’a pas été diagnostiquée comme cela. Il y a une bonne soixantaines d’années, elle a été soignée par électrochocs pour sa dépression. J’ai dû prendre pas mal de choses en charge à sa place. J’ai vécu ma vie avec des parents qui se sont disputés toute leur vie. Maintenant, elle a  90 ans , elle est en maison de repos. Ma souffrance en tant qu’enfant est de voir qu’elle se fait maltraiter par le personnel  de la maison de repos car c’est une malade mentale qui n’a pas été diagnostiquée « folle » donc elle n’est pas dans un service adapté. Je ne me considère pas comme une malade mentale, mais j’ai fait une dépression, deux Burn-out. La maladie de maman a dû influencer tout cela mais elle m’a aussi fait grandir, avancer. Ce que je veux dire, c’est que cette maladie peut réellement entacher la vie des gens »

C.W.: Un autre témoignage reçu, c’est par rapport au rôle de la justice, La justice a un rôle important à jouer pour la protection de la santé mentale des enfants. Mais est ce qu’elle a les moyens, la connaissance pour jouer son rôle de protection de l’enfant ? Cathy

C.C.: Cette question est fondamentale parce qu’elle amène la question délicate de la collaboration  entre les différents champs de la médecine, du social et de la justice. ET c’est vrai qu’on constate qu’il y a beaucoup de choses qui se passent et qui se passent de plus en plus mais qu’on peut encore faire mieux dans le travail de collaboration parce que finalement, beaucoup de personnes ne savent pas très bien quoi. On avait une juge qui avait évoqué cette idée, je pense, on en parle dans le livre, qui évoque cette idée « mais qu’est-ce que moi je peux  faire avec les diagnostics de psychose finalement » . On voit l’importance de resserrer les liens  entre ces différents secteurs dans le souci de l’enfant parce qu’effectivement dans certaines situations, la séparation est nécessaire et est utile à chacun.

C.W.: Est-ce que ça se fait finalement, parce que ça fait des années qu’on entend parler de ça, il faut resserrer les liens, il faut mieux collaborer ? E »st-ce qu’aujourd’hui il y a une évolution ?

C.C.: Oui, il y a une volonté partagée, il y a vraiment des groupes de travail qui se créent aussi,  il y a des  liens de plus en plus précis qui se tricotent.

C.W.: Collaboration avec toute une série d’association, vous vouliez aussi en parler Frédérique van Leuven.  Il y a des choses qui sont mises en place, des structures d’accueil assez simples finalement ?

F. VL.:  Oui, je pensais à une asbl bruxelloise qui s’appelle « Jeune aidant et proche » qui s’est inspirée de choses en Angleterre. On s’est rendu compte en Angleterre que dans les écoles secondaires, il y avait au moins un enfant  par classe qui occupait auprès de son parent malade une position d’aidant de première ligne et, que très souvent, c’était une  situation qui était ignorée par les enseignants etpar les pairs. Dans ces jeunes-là, il y en a énormément qui n’arrivent jamais dans un centre de santé mentale et qui n’entrent jamais en contact avec des soignants, des parents. Donc je pense que ces  ‘asbl’   permettent d’avoir l’accès à des jeunes qui autrement ne peuvent pas trouver accueil par rapport à leur situation. Je pense aussi à d’autres structures telles que l’asbl « Citoyen » qui est l’association des personnes elles-mêmes en souffrance, ou l’association  «  Similes »  l’association des familles des patients qui font tout  un travail de sensibilisation, de déstigmatisation qui est extrêmement important. Les personnes peuvent trouver là une écoute. Je pense à la dame dont vous parliez, la dame qui a  témoigné sur le fait que sa maman de 90 ans était maltraitée, je pense justement que Similes, c’est vraiment une asbl vers qui les personnes peuvent s’adresser.

C.W.: Un autre témoignage: «  Ma mère souffrait de parano, moi on me considère comme trop confiante envers les autres, naïve, je suis tout simplement très ou trop compréhensive ».

C.C.: Dans ce témoignage et dans d’autres témoignages, on entend bien à la fois la difficulté : ce qui a pu être vécu comme douloureux et difficile et en même temps ce que cette situation nous a appris. On retrouve ça également dans ce témoignage-ci.  Je trouve ça assez précieux d’entendre ‘comment ne pas mésestimer la souffrance et comment aussi ne pas la dramatiser’, c’est-à-dire reconnaitre les difficultés et les ressources.

C.W.: On a dans tous ces témoignages reçus « ça a été difficile, mais j’en sors grandi. » Qu’est ce qui permet de sortir grandi de ce genre d’expériences ? Qu’est-ce qu’il faut pour justement sortir grandi ?

C. C.:  Je pense que ce qui permet d’en sortir grandi, c’est la possibilité d’avoir été reconnu dans ce qui a été vécu, d’avoir bénéficié d’un espace d’échange, de partage avec des adultes ou d’autres enfants. Et je dirais un troisième pilier, qui sont les piliers de la résilience, les trois piliers de la transformation d’une expérience douloureuse en expérience de vie, le troisième pilier étant la créativité, le plaisir, la possibilité pour un enfant, mais aussi pour un adulte, la possibilité de continuer à jouer.  Ce sont ces trois piliers qui permettent d’en sortir grandi.

  1. La Reconnaissance
  2. Avoir bénéficié d’un espace d’ échange et de partage avec d’autres
  3. La créativité

C.W.: D’où l’importance bien évidemment de ces structures d’accueils adaptées qui peuvent laisser place aux jeux, à l’écoute, aux dessins  pour tous ces enfants en milieu hospitalier ou dans d’autres types de milieu comme les asbl, associations dont vous avez parlé.

Pour visionner la vidéo sur le site de la RTBF, cliquez sur le lien suivant: https://www.rtbf.be/auvio/detail_tendances-1ere-le-dossier?id=2239644

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